Monsieur : 5 ans déjà

Monsieur Parizeau, le 1er juin 2015, j’étais dans le deuil. Et je n’étais pas seul.

Nous venions de perdre un homme au parcours étonnant et hors du commun. Et il a quitté ce monde sans assister à la naissance du pays du Québec auquel il avait consacré sa vie.

Je me suis personnellement toujours humblement considéré comme appartenant à l’« école Parizeau », nationaliste économique et franchement indépendantiste.

Le 1er juin 2015, j’avais l’impression de perdre une grande inspiration intellectuelle qui n’était pourtant pas à bout de ses contributions au débat public.

Économiste keynésien, bâtisseur du Québec moderne, Jacques Parizeau se considérait avant tout comme un professeur. Il en fut un brillant, à l’École des Hautes études commerciales, à l’époque où cette institution s’imposait de former une élite économique québécoise comprenant notre intérêt national.

Il fut aussi un éclatant haut-fonctionnaire, en pleine ébullition de la Révolution tranquille, ayant réalisé les études économiques menant à la nationalisation de l’hydroélectricité pour le ministre René Lévesque, et joué un rôle de premier plan dans la création de la Caisse de dépôt et placement et de la Société générale de financement, des leviers majeurs de notre développement.

Si Jacques Parizeau effrayait autant ses adversaires, c’est qu’il comprenait le pouvoir de l’argent. Premier Québécois à être diplômé de la London School of Economics, il était capable de s’asseoir à Wall Street et de faire comprendre à la haute finance américaine que la nationalisation de l’hydroélectricité relevait du gros bon sens et ne cachait aucune intention communiste. Père de la modernisation économique du Québec à travers l’ouverture commerciale, il avait néanmoins déploré les exactions de celle-ci lorsqu’elle en vient à justifier un pouvoir indécent des multinationales sur les pouvoirs politiques. Un « réveil brutal », disait-il, craignait même un retour des luttes de classes.

C’est un raisonnement cartésien, et non une réaction émotionnelle, qui a mené monsieur Parizeau, lors d’un voyage à Banff, à conclure rationnellement que le Québec pouvait et devait devenir un pays indépendant. Il était donc logique qu’il devînt l’un des fondateurs du Parti québécois, puis l’un des plus importants ministres du gouvernement Lévesque.

En 1984, quand la direction du parti s’est positionnée en faveur d’un renouvellement du Canada et d’une alliance avec Brian Mulroney, Parizeau décida de claquer la porte. En dépit de sa loyauté envers son parti, il n’y avait pour lui qu’un seul «beau risque» potentiellement envisageable: celui de la pleine et entière indépendance politique pour la nation québécoise.

Il devint, quelques années plus tard, chef du PQ avant de voir le rêve de sa vie être purement et simplement confisqué. Pour Jacques Parizeau, l’indépendance était une opération chirurgicale où l’ambiguïté n’a pas sa place. Parizeau était l’homme des questions claires qui en appellent à des réponses qui le sont également.

Après son départ de la politique, il s’imposa un rôle de gardien de l’orthodoxie, toujours fidèle à ses convictions les plus profondes, et sans jamais s’en excuser. Il y a une chose qui ne reviendra plus dans notre vie politique : l’habituel commentaire de Jacques Parizeau pour remettre nos pendules à l’heure.

Monsieur Parizeau intervenait dans le débat public avec franchise, noblesse et intelligence. Jacques Parizeau était un grand sage et une autorité morale.

On ne réussit pas un projet aussi ardu en ayant peur de son ombre. Cette leçon est le plus bel héritage du plus grand homme d’État que le Québec a connu.